Ombre généreuse des tilleuls de la cour d’école, pépiements d’oiseaux, éclats d’enfants et cloches carillonnantes. Dans une parfaite ambiance de carte postale, Livry a accueilli une rencontre citoyenne d’Imagine la Nièvre !, fin mai. Une première pour le village viticole calé à la lisière de la Nièvre, de l’Allier et du Cher, dans un Sud-Nivernais aux airs de « petit paradis » dont l’attractivité se débat avec les inévitables lianes de la ruralité : santé, transports, logements, emploi.
Conseillère en immobilier, vivant à Tresnay, dernier village nivernais sur la RN7 avant l’entrée dans l’Allier, Aurore est en prise directe avec l’attractivité de la Nièvre – qui vient y vivre, et pourquoi ? « On a un très beau territoire, qui plaît, qui attire. 70 % de mes ventes, ce sont des personnes qui ne sont pas de la Nièvre », explique la jeune femme, la première à prendre la parole lors de la réunion citoyenne de Livry. « Ce sont des gens qui veulent se mettre au vert, loin des grandes villes. Ils veulent être rassurés sur des questions telles que la santé. Et dans ce domaine, il faut vraiment dynamiser, parce qu’avec une heure à une heure trente de route à faire pour se faire soigner, ce n’est pas comme ça qu’on va attirer les gens. Il faudrait arriver à attirer de jeunes médecins, de jeunes dentistes. La maison de santé qui a ouvert à Chantenay-Saint-Imbert, c’est bien, il faudrait les multiplier dans le département. »
Installé en 2024 grâce à la mobilisation du Département aux côtés de la commune, le cabinet de Médecins solidaires illustre les trésors d’efforts et d’inventivité qu’il faut déployer pour inverser les effets de la désertification médicale, un phénomène national qui frappe encore plus durement en ruralité, où les difficultés à se déplacer obscurcissent le tableau. « Les jeunes d’ici ne peuvent pas aller en apprentissage à cause des transports », relève un des participants. « Si les parents travaillent, c’est compliqué. À Saint-Pierre-le-Moûtier, on a une gare, mais il y a un train le matin, un le soir, et c’est tout. Si on travaille à Nevers, on est obligé de prendre sa voiture. Pour aller au lycée, il faut être en internat. Les gens qui arrivent dans la région, qui n’ont pas de permis, qui ont des enfants, s’ils veulent se former, comment font-ils ? »
« J’ai des enfants, et j’ai été confrontée au manque de médecins dans la Nièvre », poursuit une femme. « Pour le suivi en hôpital, il a fallu aller à Clermont-Ferrand, puis à Lyon. Le train devrait être un service public, il faudrait multiplier les navettes pour se rendre facilement à Clermont ou à Dijon. Pourquoi ne pas imaginer une plateforme qui permettrait de développer le covoiturage au niveau local ? Il y a une vraie demande dans nos villages. On est beaucoup à travailler à Nevers : moi, j’ai des horaires fixes, et je suis seule dans ma voiture, je pourrais emmener des gens pour des rendez-vous professionnels ou des courses. On est dans un cadre agréable, nos enfants sont attachés à cette région. Peut-être qu’ils partiront, peut-être qu’ils reviendront, comme on l’a fait à notre époque. Mais s’ils reviennent, il faudra qu’ils aient de la sécurité sur des questions comme la santé. »
Vue d’ailleurs, la Nièvre exhale un charme dont les Nivernais ne prennent pas forcément la pleine mesure. Dans les réunions d’Imagine la Nièvre !, les nouveaux habitants se révèlent souvent les meilleurs VRP de leur terre d’adoption. Ainsi Matthieu, arrivé d’Alsace il y a un an : « Je suis venu pour le prix de l’immobilier. Je vis à Luthenay-Uxeloup. J’ai vécu dix ans à Strasbourg, ici c’est un petit paradis, j’ai un voisin producteur de fromages, il y a une épicerie. Il ne faut que deux heures trente pour aller à Paris en train, depuis Nevers, mais le plus dur c’est d’aller à Nevers. Il n’y a pas de transports en commun qui passent dans notre commune. Si au moins on pouvait prendre les cars scolaires, ce serait une solution. » Pas de quoi enliser son enthousiasme : « Si on me demande, je dis : venez dans la Nièvre, venez, venez ! », sourit-il.
Rayonnantes elles aussi, deux jeunes filles, Marine et Camille, livrent à leur tour un premier diagnostic à chaud de leur nouveau cadre de vie. « On est dans la Nièvre depuis un mois », explique la première. « J’habitais à Paris, je suis venue vivre ici. La campagne attire ; si on est là, c’est qu’on croit à l’avenir de la Nièvre. Il faudrait peut-être créer de nouveaux espaces de communication citoyenne, comme on le fait ce soir. Il y a un problème de compréhension entre générations, c’est pareil dans le monde du travail. Il y a besoin de développer le tissu associatif, les rendez-vous citoyens. Pour trouver ce qui nous lie, au lieu de ce qui nous divise. » « On manque de lieux de sociabilité pour les jeunes, pour tout le monde », enchaîne Camille, qui a grandi dans l’Orne rurale. « C’était le rôle des bars, mais beaucoup ont fermé. Il faudrait des lieux associatifs. Si des gens voulaient s’engager pour ça, je serais prête à m’investir. »
Autre espace de sociabilité et d’inclusion, le monde du travail trouve son expression dans la soirée, par la voix de Sylvain Lucas, patron de boulangerie à Dornes et à Nevers, qui témoigne d’un autre revers de la ruralité : « Sur Nevers, j’arrive à recruter des apprentis mais à Dornes, c’est plus difficile parce qu’il n’y a aucun logement en location pour eux. Des studios, des petits logements, il n’y a rien. Alors je suis obligé d’en embaucher qui vivent à Dornes, chez leurs parents, mais ça ne suffit pas. Soit il faudrait créer davantage de logements sociaux, soit il faudrait rénover les maisons abandonnées, mais c’est difficile de les mettre aux normes, difficile ensuite de se faire payer par les locataires. Investir pour louer, ce n’est pas facile, et ça ne donne pas envie. »
Président d’association, retraité, Alain suggère une solution : « Les maires pourraient recenser les personnes âgées qui ont de la place dans leur maison. Beaucoup ont des grandes maisons, et les enfants sont partis, il y a de la place. Ce sont des personnes qui pourraient héberger un apprenti, et cela leur redonnerait un lien social, familial. » Pour lui, il est urgent de renouer le fil entre les générations, et venir au soutien des jeunes : « Pourquoi ne pas mettre les seniors en appui des jeunes qui n’ont pas de travail ? Ils sont perdus, on pourrait refaire une sorte d’école pour les motiver, les aider, les insérer, créer une famille. Nous, les seniors, on a le devoir de donner de notre temps. C’est facile de dire qu’ils ne veulent pas travailler, en fait ils ont perdu la manière d’aller travailler, et on peut les aider. »
Arrivé de région parisienne, un responsable d’entreprise abonde, en conclusion : « Ici, il y a une bienveillance, une entraide, je n’ai jamais vu ça. La Nièvre est une région à grand développement, humaine. Dans dix ans, ça sera le centre du monde : depuis le Covid, les gens recherchent la ruralité. Le souci, c’est qu’on est mauvais en com : soyons positifs, rayonnants, et on fera rayonner la Nièvre autour de nous. »