Théâtre de la quatrième rencontre citoyenne Imagine la Nièvre ! en 2025, jeudi 15 mai, Decize a vu se confronter, courtoisement, deux regards opposés sur la ruralité, et donc sur le département. Trop calme et déclinante pour les uns, revigorante et gorgée de promesses pour les autres. Loin d’être un clivage générationnel, la divergence des sentiments a nourri les échanges lors d’une soirée féconde qui a également fait la part belle aux grands enjeux contemporains de la Nièvre, la santé, les transports et l’emploi.
Rabotée par un siècle d’exode rural, la Nièvre voit sa démographie se stabiliser, enfin, et même espérer un rebond, grâce au mouvement de balancier impulsé par la crise sanitaire du Covid. Jeudi 15 mai, l’étape decizoise de la tournée citoyenne Imagine la Nièvre ! a mis au jour ces forces contraires, désirs d’ici et envies d’ailleurs, qui animent le département et en esquissent l’avenir.
« Il y a de plus en plus besoin de ruralité, de retour à la nature », affirme un professeur d’histoire-géographie, venu spécialement de Moulins-Engilbert pour écouter les débats : « Vu de chez moi, Decize est une grande ville (sourires dans l’assistance), et cela m’intéresse de voir ce que les citadins pensent de la Nièvre, les images qu’ils ont de leur département. »
L’invitation est saisie au rebond par deux sœurs, Clémence et Agathe, adolescentes et pratiquantes au club de canoë-kayak de Decize-Saint-Léger-des-Vignes, dont le témoignage illustre la variation des regards sur la ruralité. « J’ai envie de découvrir autre chose », assure Clémence. « On a besoin d’aller dans une grande ville, pour ses études ; il n’y a pas forcément tout dans la Nièvre. Je veux faire des études de médecine, et à part Nevers (où il est possible de faire sa première année d’études à l’Inkub), il n’y a pas grand-chose. »
« J’ai un avis différent », répond Agathe. « C’est une chance de vivre à la campagne. Il y a le calme, la nature à notre porte, la tranquillité, le confort de vie. Tout va vite en ville, ici non. Je trouve que c’est une image qui n’est pas assez mise en valeur. » Son voisin Enzo, adolescent lui aussi, a des fourmis dans les jambes : « J’ai envie de découvrir les grandes villes, les grands espaces où ça bouge beaucoup. La campagne, c’est mort. Il n’y a plus de médecins parce que ça ne donne pas envie de venir. C’est pareil pour l’industrie. » Et prenant les pincettes face à un public où les têtes grises et blanches abondent : « La campagne, c’est bien quand on devient plus vieux, quand on veut être au calme, vivre moins vite. »
Venu de Cercy-la-Tour, « quatre fois jeune et un peu plus », Yves pose la sagesse de son constat en phrases calmes et claires, entrecoupées de silences : « C’est vrai que la population de la Nièvre vieillit, qu’on manque de médecins, de soignants, mais c’est au niveau national que ça se passe. Les problèmes de la Nièvre sont ceux de la France, dévorée par la mégalopole Paris. Les services publics disparaissent, il n’y a pas d’argent pour construire des prisons, payer les instituteurs, les enseignants. Le nœud du problème, c’est la fiscalité : tout le monde paie la TVA, mais les ultra-riches ne paient pas beaucoup d’impôts. »
« Paris est le nombril de la France, mais la Nièvre est le cœur de la France », exprime joliment un Suisse établi à Cercy-la-Tour, amoureux des « paysages » et de la « tranquillité », mais nostalgique du réseau ferroviaire capillaire qui irrigue les moindres hameaux helvètes. Son ami, arrivé de Paris il y a un an, témoigne du délabrement des transports en commun dans la Nièvre : « Les cinq dernières fois où j’ai pris le train pour faire Paris-Cercy, j’ai fini le trajet en taxi. C’est compliqué de parler de développement économique pour la Nièvre si on fait des trajets sans être sûr d’être rentré chez soi le soir. Mais pour rien au monde je ne repartirais de la Nièvre. »
Si le sentiment d’enclavement diverge d’un orateur à l’autre, le sentiment d’abandon, lui, s’impose, dans le domaine de la santé surtout. Élue à Decize, ancienne salariée du Centre hospitalier local, Monique en témoigne : « C’est catastrophique. Pour se soigner, il faut partir, prendre des rendez-vous à Paris, cela dure des mois, et des mois. Le nombre de cancers augmente, mais c’est parce que les gens ne peuvent plus se faire soigner en temps et en heure. » Le président départemental d’Écoute et Vie, Jean-Louis Delboy, venu de Nevers plaider pour son association d’accompagnement des malades, ouvre une autre voie : « On peut passer son temps à pleurer sur le désert médical, mais il y a une chose que chacun peut faire, c’est aller vers l’autre. Être citoyen, tout simplement. »
Un appel que Fabien Bazin, président du Conseil départemental et initiateur d’Imagine la Nièvre !, prolonge dans sa conclusion d’une soirée aux aspirations souvent hautes : « Quand on se parle tous, comme ce soir, on se rend compte qu’il existe plein de passerelles. La valeur humaine de ce département, l’âme nivernaise, est reconnue. On va écrire un manifeste pour voir comment faire autrement, inventer une autre manière de fonctionner. Ce département le vaut bien, nous le valons bien. »